Rome Républicaine
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Denier romain de C. Egnatius

monnaies | Milieu du Ier siècle av. J.-C.
Rome, Rome ( Italie )
Cette monnaie est trop souvent datée de 75 av. J.-C. Par cette analyse précise et complète on comprendra qu’il faut plutôt attribuer les monnayages de C. Egnatius à une époque où César s’impose.
Denier d’argent coulé de 18 mm de diamètre, pesant 3,85 g.
Nom de l’atelier : Rome
Date : 46-45 av. J.-C.
Recto :
MAXSUMUS
Traduction : (Cn. Egnatius) Maxsumus
([Pompée] fois)
Description : Buste diadémée de la Liberté à droite. Texte derrière. Bordure perlée.
Verso :
Texte : C EGNATIVS CN F CN N
Traduction : C(aius) Egnatius C(naei) F(ilius) C(naei) N(epos)
Caius Egnatius, fils de Cneius, petit-fils de Cneius
Description : Rome casquée debout de face tenant une haste de la main droite et posant le pied droit sur une tête de loup ; à sa droite, Vénus diadémée debout de face tenant une haste de la main droite, Cupidon sur son épaule ; de chaque côté une proue de navire surmontée d’un gouvernail ; dans le champ à gauche, marque de contrôle. Texte à l’exergue. Bordure perlée.
Commentaire :
Pour ce type, M. Crawford a relevé une estimation de trente coins de droit et de trente-trois coins de revers.
Je doute de la date attribuée habituellement à cette émission. Je doute qu’il soit fait allusion à l’adoption de la « Lex Julia » en 90 avant J.-C. qui donna le droit de citoyenneté à tous les Latins. Je ne suis pas M. Crawford pour qui il pourrait être fait allusion au retour de la Liberté après les heures sombres de la guerre civile et les proscriptions de Sylla.
La gens Egnatia
Ici Caius Egnatius n’a pas de cognomen. Par contre il insiste sur son ascendance : il est fils de Cneius, et petit-fils de Cneius. Il ne peut donc pas être associé de près à Marius Egnatius l’un des principaux leaders italien pendant la Guerre Sociale (mais un cousinage est vraisemblable). On ne peut pas non plus lui attribuer trop vite le cognomen écrit sur l’avers de ses pièces comme l’a fait E. Babelon. D’ailleurs cette forme archaïque "MAXSUMUS" renvoie plutôt à un ancêtre dont il ferait un rappel. A moins qu’un jeu de mots avec son surnom et la lecture littérale ait un sens : MAX(imus) SUMUS, « nous sommes très grands », ce qui va bien avec le thème du revers.
La gens Egnatia se compose de plusieurs familles. On connait un autre homonyme, Caius Egnatius Postumus, qui fut au moins trois fois duumvir chargé de rendre la justice à Pompei. Il est associé à Marcus Holconius Rufus qui porte le même titre dans une inscription découverte en 1817 dans le temple de Venus à Pompei [1].
Un Egnatius fut préfet de la cavalerie de Crassus [2]. Il réussit à s’enfuir avec d’autres après le désastre de Carrhes en 53. C’est peut-être le même qui est exécuté avec son fils lors de la proscription de décembre 43 pour le plaisir de Marc Antoine [3].
La gens Egnatia est d’origine Samnite sans doute de Teanum en Campanie. Les ancêtres et cousins de Caius Egnatius ont plusieurs fois combattu farouchement Rome, notamment Marius Egnatius pendant la guerre sociale [4]. Une partie de la famille est restée à Teanum tandis que d’autres sont actifs en affaires à Rome et ailleurs en Italie, même en Orient.
Cl. Nicolet [5] a bien montré l’appartenance de cette gens à l’ordre équestre romain et comment on en trouve des représentants dans de nombreuses villes de l’Italie centrale cités dans des inscriptions.
Les membres de la gens Egnatia ont tenu des positionnements politiques variés. Certains ont été proscrits par Sylla, d’autres par Octave en 43 [6].
Cicéron cite un Cnaeus Egnatius membre du sénat mais que les censeurs ont expulsé pour cause de son comportement peu avant 66, date du discours de Cicéron [7]. Peut-être est-ce le même qui est moqué par Catulle parce qu’il a les dents blanches lavées à l’urine et qu’il sourit tout le temps [8]. Le fils de ce Cn. Egnatius est resté membre du Sénat ce qui a déplu au père qui l’a déshérité, mais pas son frère. L’un des deux fils devait porter le même prénom que le père sans qu’on sache s’il s’agit du déshérité ou de l’autre.
Cicéron connaissait d’autres membres de la famille Egnatia à Rome. Il les a même recommandés en matière d’argent, pour des prêts. Il cite Egnatius Maximus mais pour des affaires de l’année 45. Cicéron convient qu’à cette époque l’argent est rare. Il cite aussi Egnatius Sidicinus pour les mêmes raisons [9]. Or si Cicéron les cite à cette date-là, si les sénateurs et leurs amis cherchent de l’argent auprès d’eux à cette date, c’est que ces personnes sont susceptibles d’en disposer. C’est aussi qu’ils ont eu un lien fort et récent avec l’argent, autrement on essayerait de trouver de l’argent auprès d’autres préteurs.
Il est donc pertinent de s’interroger pour dater ce denier de Caius Egnatius Maximus à cette période, 46-45 av. J.-C. Les thèmes iconographiques prennent alors un tout autre sens politique à une période où César domine Rome.
Plus tard, sous Auguste, Marcus Egnatius (L. f.) Rufus, édile en 20 av. J.-C., et préteur l’année suivante, organise par évergétisme un corps de pompiers à Rome [10]. Il songea à se présenter pour le consulat en 18. Mais le consul Gaius Sentius Saturninus (dont le père suivait Sextus Pompée et puis s’est rallié à Octave) refusa sa candidature. Egnatius Rufus s’engagea alors dans un complot contre Auguste. Saturninus le fit enfermé et exécuté [11] Auguste remplaça le corps de pompiers de M. Egnatius Rufus par un corps public car il comprit les risques de l’évergétisme [12].
Le thème iconographique sur ce denier peut nous aider à le dater. Il montre que nous sommes dans un contexte particulier : l’association de deux figures calmes, victorieuses, fières et réconciliées milite pour une période de reconstruction politique à Rome après la guerre sociale et la guerre civile. Une sorte de concorde politique s’est imposée sur la guerre puisque les proue sont foulées aux pieds. Rome et Vénus vont dans le même sens.
Deux côtés politiques (les deux orientations différentes des proues) ont été matées par Rome et Vénus. Les gouvernails sont levés et les flottes sont mises au repos. Le gouvernail symbolise la force navale, la manoeuvre, et par extension le commandement de la flotte.
Ce n’est pas le contexte de 75 av. J.-C. A cette date le jeune César débute sa vie publique. C’est aussi l’année où il est fait prisonnier des pirates. Aucun indice ne montre une importance prise par Vénus à ce moment-là.
D’ailleurs la datation traditionnelle de cette monnaie en 75 av. J.-C. ne repose sur aucune certitude. Claude Nicolet reprend Sydenam. E. Babelon proposait de la dater vers 69 av. J.-C. Aucun ne présente ses arguments. Sans doute se sont-ils laissé influencé par l’existence du Cn. Egnatius de la Guerre Sociale (cf. ci-dessus).
L’usage de l’effigie de Venus portant un Cupidon sur son épaule rappelle cependant la propagande de César lorsqu’il s’est imposé seul à Rome. Il faisait remonter sa famille à la déesse Vénus, ou plus précisément à Iule (ou Ascagne), fils d’Énée et de Créuse. Le petit Cupidon est peut-être le petit Iule.
On voit ici Vénus un pied appuyé sur une proue composée d’un « stolos » et d’un éperon trident, et l’autre pied sur une tête de loup. Le loup-cervier (« chama », lynx) est l’un des animaux les plus remarquables que Pompée a introduit dans les jeux du cirque en 55. Ces animaux venaient de Gaule d’après Pline [13]. Nulle doute que cette tête sous le pied de Rome présente un sens politique qui a un rapport avec Pompée qui est suggéré par cette tête de loup. Ce denier a donc été émis du vivant de César, après la défaite de Pompée.
César n’est pas représenté sur les monnaies d’Egnatius mais on sent bien les thèmes de sa propagande. Sur de nombreuses autres monnaies il est représenté avec une couronne de laurier sur la tête. Son absence montre qu’il n’a donc pas encore célébré son quadruple triomphe pour ses victoires sur les Gaules, le Pont, l’Égypte et la Numidie. Cela interviendra en août et septembre 46.
Les monnaies de César
A partir de 49 av. J.-C. César avait organisé un atelier monétaire qui suit ses déplacements. Lorsqu’il s’engage dans la lutte en franchissant le Rubicon il a en effet un fort besoin d’argent et la nécessité de contrôler des émissions à son service [14]. Le Sénat romain avait autorisée cela également pour les grands corps expéditionnaires de Lucullus ou de Pompée en Orient. Mais César va plus loin : il s’approprie l’aerarium (le trésor public) dont se chargeaient des questeurs urbains, sous la supervision du Sénat. On ne l’avait fait que pendant la IIe Guerre Punique [15]. César disposa alors d’une somme colossale : estimée pour une valeur globale de 700 millions de sesterces selon Cicéron [16], se composant de 15 000 livres d’or en lingots, 35 000 livres d’argent également en lingots et 40 millions de sesterces selon Pline l’Ancien [17].
Les monnaies émises par César pour sa propre action politique sont donc postérieures à cette initiative, ce qui s’oppose à une datation de ce dernier vers 75.
La datation de cette monnaie de C. Egnatius Maximus
Donc cette monnaie a été émise entre la défaite de Pompée et les triomphes de César, soit entre le 9 août 48 et aout 46 av. J.-C. Elle est aussi antérieure à l’initiative de César de se faire figurer au droit de son monnayage.
Mais la paix et l’union de Rome avec César/Vénus (comme le représente le revers) n’ont pu être célébrées qu’à partir du moment où ce sentiment de paix s’est le plus ressenti. C’est impossible tant que Pompée et César sont en conflit direct. Lorsque César rentre d’Orient en aout 47, après avoir placé Cléopatre sur le Trône d’Egypte au début de l’année et après avoir battu Pharsale II en Asie pendant l’été, les romains et les italiens en général peuvent craindre que César n’applique les méthodes de ses prédécesseurs. Or il n’en fait rien et il se montre clément avec tout ceux qui reviennent en ayant déposé les armes. Il n’applique aucune proscription, ni aucun assassinat d’opposants.
C’est de cette période, fin 47 - mi 46, que date le denier de Caius Egnatius. Il sert la propagande césarienne en envoyant le message sur les monnaies comme d’autres le font par la littérature. Après avoir vaincu, César veut faire avancer Rome avec tout le monde.
Les autres deniers de C. Egnatius
Par voie de conséquence, les deux autres monnaies de Caius Egnatius doivent être révisées. On doit leur attribuer la même date, soit fin 47, soit le premier semestre 46.
Le denier CRR 391/2 qui montre un temple attira également l’attention de A.T. De Sarolta et P.F. Tschudin [18]. Ils ont remarqué les colonnes avec leur chapiteaux en lotus. Si on voit dans les deux personnes debout dans le temple la représentation de Jupiter et Libertas, ils se sont demandé si ce temple orientalisant ne pouvait pas non plus être assimilé au temple de Sérapis et Isis dont le sénat avait exigé la destruction du mur d’enceinte en 48 [19].
A.T. De Sarolta rapportait également, dans une note, les interrogations de R. Syme [20] qui concluait que le monnayeur C. Egnatius Maxsumus devait être daté postérieurement à 74 av. J.-C.

Denier romain de C. Egnatius en faveur de César, Jupiter et Libertas dans un temple
Sur cet autre denier CRR 391/1, Vénus porte un diadème et Libertas revient vers Rome sur un bige prestigieux. Il est aisé d’y retrouver la propagande césarienne.

Denier romain de C. Egnatius en faveur de César, buste de Vénus et Libertas dans un bige
[1] CIL X 787 = ILS 5915
[2] Plutarque, Crassus, 27, 6 qui n’indique ni prénom ni cognomen
[3] Appien, Guerres Civiles, IV, 21 qui n’indique ni prénoms ni cognomina non plus
[4] Cicéron, Ad Atticus, VI, 1 ; Tite Live, X, 18-29
[5] Cl. Nicolet, p. 305-307
[6] Appien, Guerres Civiles, IV, 21 ; Combes-Dounous, t. II, p. 263
[7] Cicéron, Pro Cluent., 48
[8] Poésies, 39
[9] Ciceron, Lettres à Atticus, VI, 1, 23 ; VII, 18, 4 ; X, 15, 4 ; XI, 3, 3 ; XII, 8, 3
[10] Dion Cassius, LIII, 24
[11] Velleius Paterculus, Histoire Romaine, II, 91-93 ; Dion Cassius, Histoire Romaine, LII, 24, Suétone, De Vita Caesarum Augustus, 19
[12] P. Veyne
[13] Pline, HN, livre VIII, 19
[14] G. Depeyrot
[15] Tite-Live, 27, 10
[16] Cicéron, Philippiques, VIII, 26
[17] Pline l’Ancien, Histoires naturelles, livre XXXIII, 17
[18] De Sarolta, 46
[19] Dion Cassius, Hist., 42, 26
[20] A.T. De Sarolta, 1995, p.46, n°60 ; R. Syme, Missing Senators, Historia, n°4, 1955, p.61
Bibliographie :











